Lavis, encres et huiles

Georges Romathier peintre originaire de Lyon était en quelque sorte un écrivain aux lavis. Les tons et les couleurs, quand il peignait, s’adonnaient à des développements répétitifs, il ébauchait ses peintures sur le vif par des couleurs vibrantes à l’huile, l’encre ou les liant ensemble par le biais de la tempéra, traçait une onde qui nous invite aujourd’hui à rentrer en contemplation, en nous même. Georges Romathier échangeait peu sur ses valeurs défendues dans la peinture et l’expression, on était simplement conviés à un exercice de découverte, où se trouvait jaugée ingambe, notre capacité au regard. Il livrait parfois quelques pistes d’influences, son amour de Cézanne, comme lui il ne voulait pas se « faire choper ». Bien mal lui en a pris, car il n’a pas joué aux jeux sociaux de l’art contemporain, il était peintre avant tout. Représenté par la Galerie Pierre (Pierre Loeb) dans les années 50, en plein déferlement de ce qui fut trop vite un troupeau de peintres enfermés dans le sac de l’abstraction lyrique… Dénomination qu’il rejette totalement à l’époque et ensuite.

Les plus petits formats, lâchés d’une vive main, sont des trésors de dilatation pupillaires, produisant un effet d’ouverture, un grand coup de frais dans 30x15cm. Son expression prenait comme point de développement un motif dont la position de départ était attentionnée au modèle, que ce soit un paysage, la nature scrupuleuse, de la lumière à l’heure et au jour près, ou celle d’un corps nu. Cette opération fixée au moyen d’un dessin, reprise et délayée, développée ensuite comme base de travail dans des variations, des gammes d’interprète. Les œuvres nombreuses et éclatantes sont enfin tout autant de nombreux témoignages captivants de ses rendez-vous privilégiés avec son modèle. Reprenant cette base, où s’installant face à cette heure heureuse devant un cadre naturel. Il traçait, étirait ses lignes, ébrouant un motif, puis répétant ce geste, indéfiniment, sur des supports consécutifs, comme un chef d'orchestre chargeant par l’amplitude ou marquant par la mesure moindre, un tracé de l'encre ou des pigments. Dans l'exécution par la peinture, la tempéra, l’huile, l’encre de chine, le brou de noix se déployait toute la signification de ce motif répété, comme une gamme auquel se livre un violoncelliste.

Cette pratique n’était pas dévolue uniquement à la relation de cette partie vue -ce paysage ou ce corps-. Cette recréation sur papier était le processus créatif d’une action consécutive à une réaction, générant la circulation qu’il partageait et que certains intégraient. Un seul geste délimitait les motifs pour y asseoir des volumes assouplis dans leur rugosité par des teintes apposées, essuyées, superposées . Le mage sage de 88 ans nous incitait à admirer la répétition, l’action dévaluée, voire une risée manuelle à l’ère du numérique éruptif, l’on devenait les spectateurs épatés de ses variations à la fois consolatrices et violentes, son geste.

Pour s’y retrouver, dans ses aquarelles a tempera, ses encres, c’était se frotter à une fraîcheur encore piquante entretenue durant plus de 60 années de pratique. Cela peut être émouvant, voire bouleversant, de découvrir un geste, de relier et de comparer ce geste au parcours abrasif du temps. C’est surtout un privilège d’explorer à l'invitation d’un artiste, des piles de lavis aux noirs, étendus sur plus de 200, 400 ou peut être 1000 feuilles en papier fin d’ivoire grisé, contrecollés sur des feuilles de papier-chiffon en 220gm. Être convié tacitement à en récolter les épis les plus vifs ou aux effets graphiques les plus bouleversant. Puis, par une lecture double, voire triple ou en juste hommage à l'élasticité du pinceau, à son geste délié du trait d’encre, les assembler à nouveau en une sélection délimitée, retraçant une série. Un privilège que j’ai accepté/endossé.

Cette matière arrondie compose également ses autres œuvres aux médiums d’huiles colorés identiquement étirées, secouées, avivées par les teintes superposés puis reliés entre elles et repliés, ou en respire toujours la marque. Son propos, lorsque s’imposait à la vision ses peintures et ses encres, était dans la force du recueillement, loin des simagrées pathétiques de la signification et du contexte, interrogateurs qui valident tant de démarches arides d’artistes au prémâché du bruyant marché de l’art.

On étanche, avec les œuvres de George Romathier, disparu en janvier 2017, une soif oubliée, grâce à la faveur de ses dessins et entre autres de ses aquarelles, lavis et autres techniques. J’espère qu’un jour viendra pour le retour à une exposition de ses huiles, mais cela sera aussi sans doute pour un autre temps, car le temps sera passé à de nouvelles contemplations, propices à des gestes et de ceux-ci, d’autres que aurons aurons peut être la reconnaissance de les admirer.

Peut-être serons nous convié à ce nouveau rendez-vous d’admiration.